Développement libre et durable. Logiciels ouverts et développement*
Tant sur la plan éthique que technique, les logiciels libres sont des outils mieux appropriés aux enjeux du développement que les produits informatiques "propriétaires fermés". Les organisations de développement et de commerce équitable tireraient grand avantage à les apprivoiser.
Les technologies de l'information et de la communication sont devenues des enjeux majeurs du développement. Or, c'est surtout le Nord qui, jusqu'à présent, les maîtrise et en accapare le profit.
A cet égard, le marché d'outils aussi essentiels que les logiciels informatiques est particulièrement révélateur. Ainsi, deux systèmes d'exploitation dominent aujourd'hui l'informatique: Windows de Microsoft et MacOs de Macintosh. Les deux compagnies, par la culture commerciale agressive qu'elles ont entretenu, ont fini par imposer leurs produits comme des standards incontournables. Or, il en existe d'autres, parfois bien meilleurs et prometteurs, économiquement plus avantageux mais dont on ignore souvent l'existence.
Soucoeux de préserver leur monopole par le contrôle légal des techniques et de leu duplication, les éditeurs commerciaux ont bridé la technologie informatique dans un carcan protectionniste et mercantile qui l'empêche d'évoluer au profit d'un véritable progrès économique, technique et social. Sous couvert de réguler la concurrence, l'abus des copyrights et des brevets, le secret industriel, en réalité, la galvaudent.
De par les prix, les usages et les contraintes qu'ils imposent, ces logiciels dits "propriétaires" ou "fermés" négligent la diversité des moyens, des compétences et des besoins des utilisateurs à travers le monde.
Telles sont les raisons pour lesquelles, dès les années 80, des développeurs informatiques indépendants ont entrepris de concevoir des logiciels ouverts ou libres, également "renouvelables", dont la propriété échoit à l'humanité toute entière.
Logiciels libres
Un logiciel libre est un programme informatique fournis avec son "code source", c'est à dire toutes les informations codées qui le composent, permettent de le transformer et sont nécessaires à sa maintenance. Tout un chacun peut l'utiliser et l'étudier sans permission, le copier et le distribuer tel quel ou modifié.
Il n'est pas pour autant versé dans le domaine public. Pour éviter qu'une entreprise ne l'accapare à son seul profit, des licences spécifiques sont apparues comme la GNU Public Licence (GPL) ou la Berkeley Public Licence, qui le protègent contre tout verrouillage de son utilisation.
Un logiciel libre n'est pas forcément gratuit. Cependant, sa production et sa distribution peuvent se faire à un coût marginal quasiment nul. Certains peuvent être téléchargés sur le Web ou sont distribués en versions commerciales pour lesquelles ont ne paie souvent que la valeur ajoutée de la commercialisation (gravage di CD-Rom, droits de douanes, distribution en magasin, services d'isntallations, assistance technique ou développement de solutions spécifiques). Quoi qu'il en soit, le code source reste accessible à l'utilisateur.
Les logiciels libres sont multiples. Les plus connus sont le système d'exploitation Linux, le logiciel pour serveur Web Apache, le Navigator de Netscape, le logiciel de transport de courrier électronique Sendmail et le serveur de noms de sites Internet Bind. Sans ces logiciles, l'Internet ne pourrait pas fonctionner.
Les pièges des logiciels "fermés"
Les logiciels fermés, grevés de droits divers, sont souvent très chers. Le prix moyen d'un "bureau" avec toutes ses applications dépasse le revenu annuel de la plupart des gens du Sud. Le responsable d'un projet mexicain justifiait sa prédilection pour le logiciel libre par le suel fait que l'acquisition d'un logiciel propriétaire entraînait des dépenses prohibitives: 55 *US pour équiper chaque machine avec Win98 et Office, plus 500 $US pour chaque licence NT, sans compter l'investissement nécessaire au préalable pour acquérir les stations de travail et un serveur
Aux frais d'acquisition des logiciels s'ajoutent immanquablement d'autres coûts récurrents. Les licences sont en effet octroyées par utilisateur. Une organisation qui viendrait à croître et dont le personnel augmenterait devrait encore payer le droit d'exploitation pour chaque nouvel utilisateur. C'est aussi sans compter sur le fait que pour maintenir la compatibilité et la fonctionnalité du logiciel propriétaire, il est souvent nécessaire de l'améliorer. Ainsi, Microsoft a constamment et délibérément changé le format de "Word" pour contraindre les utilisateurs à acheter les versions successives qu'il mettait sur le marché. Et les logiciels auxquels on ajoute des options requièrent à chaque fois un matériel plus puissant et plus cher
"Piratage" forcé
Le "piratage" apparaît comme une alternative inévitable pour ceux qui ne sont pas en mesure d'acheter le logiciel ou ne le souhaitent pas. C'est un option très répandues dans le Sud où les législations sur les copyrights sont parfois déficientes. La plupart des éditeurs commerciaux perdraient plus d'argent et de temps en poursuivant les contrevenants qu'en laissant faire. Il n'en demeure pas moins que personne n'est à l'abri d'un revirement d'humeur de l'ayant droit et que les utilisateurs de ces "pirates" restent à la merci des lois. Ils sont ainsi plus vulnérables que les riches ou plus puissants qui, pour leur part, ont les moyens de respecter la légalité. Les organisations de développement, elles-mêmes exposées à de telles réglementations dans leurs propres pays ne peuvent ni appuyer ni encore moins encourager la pratique du "piratage".
Dépendance et vie privée
Tous ces facteurs renforcent la dépendance des individus, des organisations ou des communautés. Cette dépendance s'exerce non seulement à travers les contraintes financières et techniques de compatibilité et de fonctionnalité mais empiète sur la vie privée et la liberté idéologique.
La stratégie commerciale en matière de logiciels est comparable à celles pratiquées en agriculture où le brevetage des variétés de graines, des séquences génétiques et la création de variétés stériles contribuent à fortifier la dépendance à long terme des agriculteurs vis à vis des multinationales agroalimentaires.
Promouvoir Microsoft Word dans un pays comme, par exemple, l'Erythrée, c'est jouer un jeu analogue à celui de Nestlé qui recommande aux mères indiennes de nourrir leurs bébés avec du lait en poudre. On encourage l'usage de quelque chose qui n'est pas indispensable mais dont il est pas la suite difficile de se passer. Les médecins le préconisent, les bienfaits qu'on en retire d'abord paraissent considérables et justifient pleinement les investissements qu'il aura été nécessaire de faire. D'ailleurs, les frais initiaux auront pu être compensés par des subsides ou contournés illégalement. Mais les dépenses qui suivront pourront se révéler très coûteuses. Une fois "Word" installé, on doit s'assurer de pouvoir lire les formats qui évoluent; on est poussé à acquérir du nouveau matériel et, en définitive, comme tout le monde doit s'adapter, s'ensuit un effet boule de neige qui affecte non seulement les individus mais aussi toute la communauté.
L'autonomie des utilisateurs est d'autant plus confisquée qu'il est beaucoup plus difficile de détecter les intrusions sur un logiciel dont le code source est inaccessible. Cela pourrait pourtant être très utile en cas d'infection par un virus tel que le fameux Melissa qui dan le courant de l'année 1999 a fait de nombreux ravages sur les ordinateurs utilisant Word 97 et Word 2000, et qui, s'il ne causait aucun dommage à la mémoire et aux documents, pouvait expédier ces derniers vers l'extérieur, via le réseau Internet, sans autorisation de l'usager. L'aptitude à pouvoir pleinement contrôler ce qui entre et sort de sa machine apparaît d'autant plus importante qu'on apprend que l'Etat australien caresse le projet, pour servir à ses services de sécurité, d'aménager des "portes d'accès" sur les logiciels de grande distribution. Un pkan semblable aurait déjà pu être mis en application par les services américains. Quand des vies sont en jeu, il y a de quoi sombrer dans la paranoïa. Peut-on se fier aveuglément à Microsoft Word quand on est un activiste Papou ou Timorais?
Sur le plan de la discrétion, certains logiciels propriétaires particulièrement populaires ont des caractéristiques inquiétantes. Microsoft Windows et les versions récentes d'Office, ainsi qu'une pléiade de sites Internet, inclus dans les documents un identificateur d'ordinateur. Celui-ci, à l'instar des "cookies" est envoyé à la société qui peut de la sorte contrôler l'enregistrement des logiciels. Notons au passage que le programmeur accusé d'avoir créé et lancé Melissa a été retrouvé grâce à la compagnie America Online. Celle-ci aurait refusé de dévoiler quels renseignements elle a fourni aux autorités où quels sont les renseignements qu'elle conserve sur ses clients
Restriction de la solidarité et isolement
Les logiciels propriétaires marginalisent les communautés et, ce faisant, compromettent leur développement.
On sait que les utilisateurs n'ont pas le droit de partager les logiciels; les possibilités de mettre en place des services d'assistance ou de maintenance au niveau local sont limitées; comme il n'est pas possible d'adapter le logiciel aux besoins locaux, les communautés doivent se contenter de produits inappropriés, conçus pour la clientèle des pays développés.
Ainsi, par exemple, les systèmes d'application et les logiciels ne sont disponibles que dans un nombre de langues restreint. Récemment, l'Islande a revendiqué la création d'un Microsoft Windows en Islandais. Sans accès au code source et le droit de le modifier, rien ne peut se faire sans le bon vouloir de Microsoft. L'Islande pourrait peut-être faire valoir sa richesse et son influence mais il est peu probable que Microsoft se lance dans un projet qui concerne des langues indigènes telles que l'Aymara ou le Lardil. Par contre, le code source de Linux/GNU étant accessible, il est possible de modifier librement les paramètres linguistiques.
Avantages techniques des logiciels libres
Au delà de toute considération éthique ou politique, des arguments techniques plaident aussi pour le déploiement des systèmes de logiciels libres.
Tout d'abord, il apparaît que les produits issus de logiciels libres sont largement reconnus comme étant plus sérieux, robustes, puissants et sûrs que les autres. Cela provient sans aucun doute du fait que leur développement lui-même est ouvert. La plupart des logiciels libres ont été produits par des communautés décentralisées ouvertes à tout qui manifeste les compétences techniques suffisantes. Les utilisateurs peuvent se joindre aux communautés de développement et participer à l'amélioration de logiciels existants ou à la conception de programmes entièrement nouveaux.
Beaucoup de projets de logiciels libres sont basés sur la communication ouverte, l'incorporation, les relations personnelles et sont souvent motivés par le bien de la communauté entière. Ils sont essayés et éprouvés par un effectif de plus en plus important de développeurs qui les sollicitent constamment pour répondre à des besoins spécifiques et s'organisent en groupe d'utilisateurs pour assurer la maintenance et l'appui technique. Ces produits sont conçus pour le travail et non uniquement pour vendre des copies. Ils ne sont pas simplement meilleurs, ils ont une magnitude plus large.
Les logiciels libres requièrent moins de ressources pour fonctionner et peuvent mettre à profit les capacités de vielles machines, comme les PC 486, toujours en état de marche mais sur lesquelles on ne peut pas faire tourner les versions récentes des systèmes commerciaux. Ainsi, une compagnie a initié en Australie le "Projet Computer Bank", lequel récolte et redistribue à des groupes, des communautés ou des écoles disposant de maigres moyens financiers, de vieux ordinateurs susceptibles de faire fonctionner GNU/Linux.
Education et transfert technologique
Les logiciels ouverts sont idéals pour l'enseignement. L'accès au code source encourage à la fois l'apprentissage et l'expérimentation.
Les investissements de départ étant généralement peu élevés, les produits évoluant rapidement, les logiciels et l'économie de l'information en général offrent au Sud l'opportunité de développer des industries de haute valeur et d'accéder à de nouveaux modes de productions. Cependant, il est important que ces pays soient libérés de leur dépendance à l'égard des multinationales propriétaires.
Les logiciels libres incitent à la collaboration, autant à large qu'à petite échelle. Accéder de façon plus étendue à Internet permettrait aux pays en développement de communiquer directement avec le reste du monde, de présenter leurs propres idées et perspectives. Ça peut-être un bon outil de participation. Contribuer au développement des logiciels libres leur permettrait de déterminer les modèles technologiques de leur avenir.
Par conséquent, les organisations de développement et de commerce équitable devraient davantage se pencher sur la question de l'utilisation de ce type de matériel. L'enjeux consisterait pour elles à apprendre à maîtriser des médias mieux susceptibles d'épouser leurs objectifs et leurs positionnements idéologiques. Il serait sans doute intéressant d'inclure les logiciels libres dans leurs projets, d'encourager leur usage auprès de leurs partenaires du Sud et du Nord et au besoin, de les assister dans leur utilisation.